Le film du producteur réalisateur burkinabè, Sékou Traoré, et de l’auteur comédien et scénariste espagnol Luis Marquès, L’Œil du Cyclone, porte à son paroxysme le drame qui entoure l’amer constat du poète anglais William Wordsworth, selon lequel l’enfant est le père de l’homme. Le constat de ce grand poète observateur, qui fait de la mémoire la sève nourricière de la poésie, sera un prélude à la grande réflexion freudienne qui bouleversera le monde, pour le moins, en ce qui concerne la compréhension des mobiles de toute action humaine.
Le film de Sékou Traoré s’inscrit dans ce sillage de l’exploration des causes profondes qui gouvernent nos attitudes. Les faits sont irréfutables, Hitler Mussolini, incarné par le célèbre comédien ivoirien Assandé Fargas, a commis un massacre exécrable de populations civiles. Il doit être jugé, et l’issue du procès semble être déjà connue. Nous sommes,tout de même, en République ! Il lui faut un avocat ; c’est la loi. Le dossier échoit dans les mains de l’avocate Tou Héma, dont le rôle est interprété par la comédienne sénégalaise Maïmouna N’diaye. Emballée par ses propres convictions et encouragée par un jeune agent de liaison qui aurait pu être également avocat, n’eût été le fait qu’il est fils de pauvre, Tou décide de s’assumer contre la volonté de ses parents.
Au fil du déroulement du récit, la proximité de la caméra qui donne à lire l’émotion sur les visages des personnages indique le caractère brûlant du dossier, tout comme les plans à l’intérieur de la prison civile, l’exiguïté des espaces, la menace policière et la rage des détenus, traduisent la vérité des conditions d’incarcération dans la plupart des prisons africaines.
Là où la torture à échouer, la pédagogie de l’avocate qui consiste à voir l’humain dans le criminel a réussi. L’avocate Tou parvient à faire parler le dangereux prisonnier et à obtenir de lui des informations précieuses en vue de la défense. Enrôlé de force dans l’armée de libération nationale à l’âge de huit ans, témoin oculaire de l’assassinat de ses parents géniteurs, l’enfant soldat devenu Hitler Mussolini avait-il d’autres choix ? S’il est indéniable qu’il est le bras qui a tué, qui est le cerveau qui a ordonné ? Derrière cette marionnette d’Hitler se cache une affaire d’Etat où des hommes d’affaires, y compris le père même de l’avocate Tou, sont impliqués.
Comme au théâtre, les deux célèbres comédiens Maïmouna et Fargas, qui avaient déjà joué ces rôles sur le plancher, font, là encore, un coup de théâtre qui problématise l’Etre de l’enfant soldat. Un enfant soldat peut-il réellement guérir de son traumatisme ? Hélas ! C’est au moment où l’on croyait Hitler Mussolini revenu à la vie normale, que la bête qui sommeillait en lui, se réveilla et étrangla son défenseur, l’avocate Tou, au cours d’une danse de Salsa imaginaire.
Est-ce à dire que l’enfance de cet homme scellera-t-elle définitivement son existence ? Sera-t-il à vie le fils de son enfance qui est son père ? Peut-être que non, si l’on avait suivi la mise en garde du travailleur de la Force internationale, le chauffeur qui a embarqué Hitler Mussolini du champ de bataille au camp militaire. De tels hommes, a-t-il prévenu, ont besoin d’un long suivi psychologique.
Assurément avec ce film, le cinéma burkinabè fait un grand pas en avant. Comme Ezra de Newton Aduaka, l’œil du cyclone participe des grands films qui fonctionnalisent avec beaucoup d’inspiration artistique les réalités actuelles du continent. Comédiens de théâtre, Maïmouna et Fargas ont su apporter à l’art cinématographique, la présence du corps à travers une mise en scène qui confère à L’œil du Cyclone une chaleur authentiquement africaine.
Justin OUORO