FESPACO 2017 Gerreta de l’éthiopien Mantegaftot Sileshi Siyoum ou le drame d’une société « pressée pressée »

A cette 25e édition du FESPACO, le pays de Haïlé Sélassié est en compétion avec deux films. L’un d’entre eux est un court-métrage. Un premier film dans lequel, le jeune éthiopien Mantegaftot Sileshi Siyoum s’interroge sur le rythme accéléré des sociétés africaines actuelles.

Comme son sujet, le film « Gerreta » (lire « Gréta ») en Amharique, la langue la plus parlée en Ethiopie) est pressé. Pressé pour quelle raison ? La réponse reste inconnue. Et c’est là, toute la trame de ce court-métrage de sept minutes et poussière.

Une course poursuite dans les ruelles d’un quartier pauvre d’Addis Abeba, la capitale de l’Ethiopie plonge, dès l’ouverture du film, le spectateur dans un rythme effréné. Celui-ci est embarqué, mais tellement, au point se sentir, lui-même, haletant. Il ne comprendra ce qui se passe que par la magie de la technologie mais aussi grâce à une astuce du réalisateur. Au lieu d’utiliser la séquence classique du « flash-back » (retour en arrière), Mantegaftot Sileshi Siyoum choisit la technique du « rewind » (rembobiner) accéléré. Il réussit, ainsi, à poser le film, du moins un instant, le temps nécessaire à la compréhension de son histoire.

Une triste histoire d’un père de famille démuni et sans travail, mais obligé de ramener, à tout prix, quelque chose à manger à la maison. Après avoir fait la manche, il récoltera de quoi acheter un morceau de pain. Survient alors le drame. Par la pirouette du « Forward » (avancer), le cinéaste permet de se rendre compte que la personne poursuivi n’est tout autre que le père de famille. Pourquoi ? Pour le savoir, vient, cette fois, le flash-back. Le héros est victime d’une confusion. Il est pris, de par son apparence, pour un voleur ayant subtilisé sa baguette de pain à une dame. Indexé et pris de panique, il se retrouve poursuivi et tabassé par une foule qui va grossissant. Une scène de lynchage d’un voleur (supposé ici), finalement commune à beaucoup de villes africaines, se dessine.

« Gerreta » s’en trouve, en fin de compte, expliqué. Le mot signifie, d’une part, la confusion et, d’autre part, la foule ou le mouvement de foule. Mantegaftot Sileshi Siyoum s’interroge, par ce film, sur le manque d’analyse et la précipitation dans lesquels baigne la société actuelle. Une société en mouvement accéléré et dans laquelle se retrouve embarquée une majorité, ignorante de la nécessité d’un tel mouvement, encore moins de sa portée. Pour le réalisateur, ce phénomène n’a d’autre conséquence que le drame. Que peut-on attendre d’une foule, donc amorphe, mais surtout agissant d’instinct, dans la précipitation ? Pourquoi est-on obligé de suivre le mouvement ? Pourquoi ne prend-t-on plus le temps d’analyser les choses, de les appréhender avec sang-froid ?

Autant de questions que se posent légitimement Siyoum. En effet, l’homme est journaliste dans la section Amharique de la radio fédérale allemande, la Deutsche Welle. Un  média dit chaud (selon McLuhan) du fait de l’urgence avec laquelle l’information est traitée et diffusée. Si les réponses à ces interrogations sont à rechercher, il faut saluer la manière par laquelle elles ont été posées dans cette oeuvre, « Gerreta ». Une prouesse qui lui a valu d’être désignée meilleur court-métrage à la neuvième édition du River Film Festival en 2015 à Padova, en Italie.

 

Annick Rachel KANDOLO

ASCRIC-B

Facebook Comments Box