La Sirène de Faso Fani
Cela faisait bien longtemps que le cinéma burkinabè attendait sa relève. Que des réalisateurs comme Missa Hébié ou Abdoulaye Dao fassent une place à de plus jeunes cinéastes comme le regretté Adama Sallé (L’Or blanc) ou Éléonore Yaméogo (Paris mon Paradis) qui laissaient entrevoir la promesse d’une nouvelle génération de cinéastes fraîchement sortie d’écoles de cinéma africaines (l’ESAV de Marrakech pour l’un, l’ISIS de Ouagadougou pour l’autre).
Cela faisait bien longtemps que les films populaires réalisés par Boubakar Diallo, Ibrahim Olukunga ou Michael Kamuenga nous avaient convaincus qu’un public répondrait toujours présent quelle que soit la qualité des œuvres proposées. Mais que ce public saurait, à terme, exiger davantage. C’est la réaction que nous attendons avec impatience à l’occasion de ce Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Burkina Faso) où Michel K. Zongo est sélectionné.
Présenté en première mondiale au Festival de Berlin (Allemagne) et pour la première fois en compétition au Burkina, La sirène de Faso Fani est le second long-métrage documentaire de Michel K. Zongo qui avait réalisé quelques années plus tôt Espoir Voyage en allant sur les traces de son grand-frère parti travailler en Côte d’Ivoire mais jamais revenu.
Michel K. Zongo est de ces cinéastes qui s’inspirent de leur vécu pour compter une histoire universelle. Après avoir retracé son histoire familiale, c’est l’histoire de sa ville, Koudougou, qu’il souhaite aujourd’hui décrypter.
Koudougou avait été désignée par le Président Thomas Sankara (1983-1987) comme siège d’une manufacture de coton burkinabè, la bien-nommée Faso Fani. Poussés par leur président, hommes, femmes et enfants étaient encouragés à porter la cotonnade burkinabè afin de « produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique« .
Avec la fermeture de l’usine en 2001, c’est tout un pan économique d’une ville, d’un pays, mais surtout d’un idéal qui s’est écroulé. Avec humilité et nostalgie, Michel Zongo ravive les souvenirs avec des publicités d’époque, des discours de Thomas Sankara, des émissions radios, des images d’archives. Les anciens travailleurs de cette manufacture, un à un, accusent la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International de les avoir mené à leur perte. « J’aimerai que ceux qui prennent des décisions viennent constater leur impact localement » plaide ainsi un ancien employé, nous rappelant le discours des couturières du film Louise Michel de Gustave Kervern et Benoît Délépine (France, 2008) prêtes à en découdre avec un chef d’entreprise qui, retranché dans un paradis fiscal et jonglant avec les chiffres par téléphone, considérait que cette entreprise n’existait plus depuis des années.
« On ne peut pas être supérieur au Blanc mais on va essayer« , souffle avec malice un autre ouvrier qui accepte de former des apprentis et de lancer un concept de coopérative. « Peut-être que ça ne marchera pas mais au moins on l’aura fait« , affirme Michel K. Zongo qui, dépassant son statut de réalisateur, réunit ancienne et nouvelle génération autour de métiers à tisser. « Je ne fais pas un défilé de mode, mais je voudrais simplement dire que nous devons accepter de vivre africains, c’est la seule façon de vivre libres et de vivre dignes » clamait Thomas Sankara le 27 juillet 1987 à la Conférence de l’OUA.
A l’heure où les puissances occidentales continuent de s’arracher les ressources africaines, d’imposer leur diktat capitaliste sur les économies locales et de planter leurs OGM, le film de Michel K. Zongo sonne comme la sirène de l’usine de Faso Fani. Un cri de rassemblement et un cri de détresse, non loin de celui que poussait Abderrahmane Sissako avec son Bamako.
Claire DIAO
La Sirène de Faso Fani de Michel K. Zongo – Burkina Faso – 90min
Lundi 2 mars à 18h au CBC, jeudi 5 mars à 18h au Palais de la Jeunesse et de la Culture Jean Pierre Guingané