A l’occasion de la 36 eme célébration de la fête de la musique, j’ai été sollicité pour assurer la modération d’une conférence publique sur le thème: » Musique et sport pour la promotion du civisme », à l’initiative de Madess Madess. Je partage ici avec vous mes recherches sur la thématique. En m’inspirant de la communication du musicologue Oger KABORE qu’il a animée à la 1ere édition des Faso Music Awards(FAMA), je vous propose une longue réflexion.
Le Burkina souffre de l’incivisme qui va de plus en plus grandissant. En effet, il ne se passe pas un jour sans qu’un acte d’incivisme ne soit enregistré. Des élèves qui agressent physiquement leurs enseignants, des usagers de la route qui fauchent mortellement des agents de la police en pleine régulation de la circulation routière, le non-respect du code de la route, des populations qui détruisent des biens publics et privés en cas de manifestations, une défiance de l’autorité de l’Etat. Ce sont, entre autres, les cas d’incivisme enregistrés ou rapportés par les médias. Le cas le plus récent et non moins retentissant est le lynchage de l’artiste musicienne Adjaratou Diessongo connu sous le nom de Adja Divine. Je m’en voudrais en tant que journaliste de ne pas citer mon confrère Taita de la radio de la municipalité de Ouagadougou (RMO) fauché mortellement dans la nuit de Samedi 17 juin alors qu’il allait couvrir une cérémonie à Ouaga 2000.
Cette montée de l’incivisme plus qu’inquiétante interpelle aussi bien les dirigeants que les citoyens dans leur ensemble. Caravane du civisme initié par le ministère des droits humains, forum sur l’incivisme, débats autour de la question sont entre autres des initiatives en vue de sensibiliser les populations à la culture du civisme et de la citoyenneté. Dans cette sensibilisation accrue contre ce qu’on pourrait qualifier de fléau, les artistes en tant des leaders d’opinion, des porteurs de messages et des acteurs de socialisation de l’individu dans la société africaine ne sont pas restés en marge de cette cause noble.
C’est dans cette optique que les organisateurs du traditionnel match de gala, conduit par l’infatigable Mamadi OUEDRAOGO dit Madess Madess, à l’occasion de la fête de la musique, célébrée chaque année le 21 juin depuis 36 ans maintenant, ont bien voulu apporter « la terre à la termitière » en organisant une conférence publique sur le thème : « Musique et sport pour la promotion du civisme ». Comment la musique et le sport peuvent-ils contribuer à la sensibilisation à l’incivisme ? Les artistes et sportifs peuvent-ils influencer positivement les jeunes par leurs messages forts ou des actions au quotidien ? Paradoxalement n’engendrent-ils pas des ferments qui détruisent nos sociétés dans un contexte de mutations profondes face aux influences étrangères ? En termes clairs, les vidéos ou clips, les chansons, les coiffures et tatouages de nos athlètes n’ont-ils pas d’impacts négatifs sur les jeunes qui pour la plus part du temps s’identifient à eux ? Comment cette thématique est traitée par les artistes auteurs-compositeurs dans leurs chansons ? Ce thème soulève plusieurs questions à la fois et est d’une actualité brulante en ce sens qu’il aura le mérite de provoquer un débat en vue d’un changement d’attitudes et de comportement de nos artistes et sportifs.
I- LES CONNAISSANCES GÉNÉRALES
Définition :
La musique est l’art de combiner des sons d’après des règles (variables selon les lieux et les époques) d’organiser une durée avec des éléments sonores. Le résultat de ce travail c’est l’œuvre musicale. On distingue la musique instrumentale de la musique vocale.
La musique est une expression de la vie. Elle traduit directement les émotions d’un individu ou d’un groupe et se situe dans l’espace et le temps (Belvianes).
Théorie : les origines de la musique sont divines. Cela a commencé par l’apparition soudaine d’une note lumineuse impérieuse et pure qui grandit, refoule les ténèbres et le silence, emplit tout l’espace infini de ses vibrations divines. De cette note primordiale naîtra la multiplicité des créations musicales. Il y a donc une analogie entre la musique et la lumière. La musique est comme l’éclair…
Chez les Egyptiens, Thot était le « Seigneur de la Parole divine ». C’est lui qui faisait naître tout langage et, par conséquent, le langage supra-terrestre de la musique ».
Dans la Grèce antique, Apollon, était considéré comme le dieu du soleil et Pan celui des vibrations de la lumière et de la musique. Pythagore y voyait la source de la connaissance. Aristote affirmait que « l’harmonie est céleste, elle a une nature divine, belle, merveilleuse…».
Quant à Platon, il donnait cette belle définition de la musique : « La musique est une loi morale, elle donne une âme à nos cœurs, des ailes à la pensée, un essor à l’imagination. Elle est un charme à la tristesse, à la gaieté, à la vie, à toute chose. Elle est l’essence du temps et s’élève à tout ce qui est de forme invisible, mais cependant éblouissante et passionnément éternelle ».
Les origines de la musique restent donc liées à celles de l’Homme et du langage. Il y a environ 3 millions d’années que l’Homme est apparu sur terre. Devant les grands spectacles de la Nature (lever/coucher du soleil, orages, apparition cyclique de la lune, etc.), l’homme a spontanément inventé un moyen autre que le langage pour s’exprimer. Devant les forces de la nature, l’homme préhistorique a mis au point probablement un mode d’expression basé sur la danse et les cris pour traduire son émotion, sa crainte, son impuissance et peut-être son respect selon les circonstances.
Son importance dans la société Africaine
Contrairement à l’occidental, l’africain ne considère pas la musique simplement comme un art ou un simple divertissement pour l’écoute, le plaisir ou la danse. La musique en Afrique noire a depuis toujours une grande signification, un grand rôle culturel et social.
La musique exprime le bonheur et la joie de vivre dans les fêtes populaires, la distinction et la fierté dans des occasions solennelles, l’émotion pendant les cérémonies religieuses, le bien être autour du feu, la force ou la pureté, l’énergie créatrice etc.
La musique traditionnelle en Afrique, plonge ses racines dans des rites et coutumes très anciens. Elle célèbre les ancêtres, accompagne les récits historiques, les contes, les poèmes, les proverbes, les spectacles etc.
Omniprésente dans la vie des africains, la musique accompagne aussi bien le paysan dans son champ, le chasseur, le pêcheur, le forgeron, le bûcheron etc.
La musique célèbre chaque période importante de la vie, naissance, puberté, mariage, enterrement etc.
Les récoltes, les semailles, la pêche, la chasse donnent souvent lieu à des manifestations musicales importantes. La musique semble alors jouer un rôle de médiateur entre les hommes et les dieux ; elle détient le pouvoir d’attirer les premières pluies, de conjurer le mauvais sort, d’introniser un chef, de transformer les enfants en hommes adultes.
Quelques exemples :
L’initiation des garçons ou des filles donne lieu à d’importantes manifestations musicales représentant souvent les aspects les plus remarquables, les plus élaborés et les plus fidèlement transmis du répertoire musical de chaque société africaine.
La naissance des jumeaux est accompagnée par des musiques spécifiques. De nombreuses manifestations musicales et chorégraphiques ont lieu au cours des funérailles. Chez les Babinga de République Centrafricaine, on jouait une certaine musique avant la chasse à l’éléphant, et une autre après que l’éléphant ait été tué.
Au Tchad, chez les Toupouri, les jeunes hommes buveurs de lait de vache destiné en principe à rendre fort et à embellir.
Proverbes :
« Un pays où il n’y a pas de musiciens est un pays à fuir », proverbe diola du Sénégal.
II- NOTION DE CIVISME
Le civisme c’est l’accomplissement volontaire par les citoyens de leurs obligations. Le civisme est une question d’état d’esprit, de mentalité et de comportement. En fait, c’est une question de respect spontané des obligations prescrites dans un état de droit pour un « vivre ensemble » harmonieux.
Il faut rappeler que la notion du civisme est lié à celle de paix, car l’une ne va pas sans l’autre. Sans paix il est impossible d’obtenir des citoyens, une quelconque forme de civisme, et sans un minimum de respect des règles de civisme qui doivent régir la vie des hommes dans un état, la paix devient vite compromise. Le « vivre ensemble » se révèle simplement une vue de l’esprit. Ces deux réalités sont indissociables et peuvent être conjuguées sous l’effet de la musique.
III- COMMENT LES ARTISTES ET LES SPORTIFS CONTRIBUENT AU CIVISME AU BURKINA FASO (DES EXEMPLES EN AFRIQUE, DANS LE CONTEXTE BURKINABE).
Des exemples en Afrique
Le thème de la paix et du civisme reste et demeure un thème cher aux artistes africains. Sa récurrence dans les chansons en est un témoignage éloquent. En parcourant les répertoires des artistes africains, on est frappé par cette vision commune qu’ils ont des problèmes de développement que vit le continent dans son ensemble. Des idées de panafricanisme sont exprimées constamment avec force. Ils prônent des messages de réconciliation, d’unité de la justice, de la solidarité et de la paix, gage du développement en Afrique.
De grands musiciens africains ont lutté durant leur carrière pour la paix en Afrique voire dans le monde : Tabu Ley (Rochereau), Francis Bebey, Pierre Akendengue, Eboa Lotin, G.G. Vickey, Franklin Boukaka, Amédé Pierre, François Louga, Aïcha Koné, Douk Saga, Alpha Blondy, Tiken Dja Fakoly, etc.
Alpha Blondy : demeure une figure incontournable du reggae africain mais aussi mondial. Il dénonce la guerre, la barbarie. Il a participé à la Caravane de la réconciliation, il avait chanté la paix et la réconciliation entre le Mali et le Burkina. « Nous sommes sur la route de la paix, tous ensemble sur la route de la paix. Que la lumière dans nos cœurs guide nos pas, la divine lumière illumine nos voies,…suivons l’étoile de la réconciliation… ».
Tiken Dja Fakoli : il en est de même pour cet autre reggae man ivoirien qui n’a cessé de dénoncer les violences et les injustices en Afrique tant au plan politique que social.
Dans le contexte burkinabè
Les artistes burkinabè, qu’ils en aient conscience ou non, se sont donné depuis longtemps les mêmes objectifs. Dans leur esprit, ils se sont fixé une mission valorisante : travailler dans le sens du bien-être des populations et pour le développement de notre pays. Bien sûr, il faut vivre de son art (surtout pour les musiciens professionnels), mais ils ne font pas de la musique uniquement pour le fameux « gombo », selon l’expression des acteurs de la scène musicale.
Aussi bien dans les musiques de variétés modernes que dans les musiques dites traditionnelles, des idées forces sont développées çà et là dans beaucoup de leurs chansons appelant à l’union de tous les fils et filles du Burkina Faso quelle que soient leur ethnie et leur région d’appartenance. Ils les appellent à la solidarité et à l’entente. Ils les appellent à travailler dans une synergie d’action pour le développement de leur pays, puisqu’ils sont liés par le même destin. Ainsi, on entend souvent : (en mooré) yiki yâ ted naa taab n malged tenga, (en jula) a i wili, anga yongo ndeme, anga faso baara…
La musique burkinabè comme porte-voix des idées de paix et de civisme…On peut citer quelques exemples de chants qui abordent explicitement les thèmes de la paix et du civisme avec des contenus et des qualités variables d’un compositeur à l’autre. Mêmes si les albums contenant ces titres ont connu des fortunes diverses, il est cependant louable qu’ils aient existé.
L’Harmonie voltaïque : cet orchestre a prôné la paix et la coexistence pacifique à travers quelques compositions. Ex. « tond ya buud toor toore, nnaa taab tenga yembre » (lors d’un concours de musique ?)
Salambo : guerre Israël/Palestine (colonel Nasser, général Dayan, arrêtez donc cette guerre sans issue, …, arrêtez donc de vous massacrer les enfants,…de nous massacrer les copains)
Georges Ouédraogo : il a chanté aussi Waogdeg ya noogo,
Issouf Compaoré : adeb san mi yeele (morale : la bonne entente : le monde est un lieu de causerie, il est comme un hangar, dans la journée on se retrouve pour causer et la nuit venue chacun rentre chez lui…l’hypocrisie est comme de l’urine, elle finit devant son auteur, celui qui fait du mal à autrui le fait à lui-même, chacun récolte ce qu’il a semé, chacun est assis à l’ombre de ses œuvres, ayons le ventre blanc les uns envers les autres car le sukiiri, la jalousie n’a aucune valeur),
Cissé Abdoulaye : Chante avec moi, Dis-moi évoque la paix
Zama veenem (Zoétenga) : single : œuvre musicale de sensibilisation sur le civisme et la citoyenneté responsable au Burkina Faso, réalisée avec plusieurs artistes… Un véritable appel au civisme et à la paix pour une vie commune pacifique… Cf. le titre de l’œuvre déjà suffisamment éloquent « Puisqu’on doit vivre ensemble »,
Améty Méria : « Nous n’avons aucun droit de flamber les fleurs de ce jardin qu’est le monde…La paix ne se construit pas dans la violence.. Alors, évite la guerre qui te gâche la vie jour après jour…»
Idak Bassavé : contre la guerre et son cortège de malheurs (veuves ou veufs, orphelins…) : « nous voulons la paix et la tranquillité ; la paix pour tous les pays… »
As Dj Futuring avec Solo Dja Kabako : « on veut la paix »… « Maman Africa, tes enfants veulent la paix… »
Bamos Théo : « laafi la vima yègré, laafi la boum fâa… »
Zmo : évoque avec nostalgie l’époque de nos ancêtres où les gens s’aimaient, et invite tout le monde à s’entendre quelles que soient les circonstances…
Bilgo: développe dans une chanson en mooré ses idées en faveur de la paix dans tous les pays d’Afrique : « nous voulons la paix…teng laafi ya tond laafi ye, teng laafi ya tond fâa laafi… ». Il demande de prier pour la paix.
Toussi : bâtir la paix !
Thiliane : dans sa première œuvre discographique « Osons la paix » lance des appels à la cohésion sociale et à l’entente…
Greg : aborde la question de la paix dans son premier opus « Laafi la boum fan » où il soutient que la paix est le socle de tout développement.
Voir aussi les chanteurs traditionnels : Hado Gorgo, Kisto koimbré, Abibou,
Zougnazagemda…
Cas particulier du civisme
Avoir du civisme, avoir le sens civique c’est manifester à tout moment un dévouement sans faille envers la collectivité à laquelle on appartient : au lieu de privilégier l’intérêt individuel, il vaut mieux privilégier d’abord l’intérêt collectif. Les comportements d’incivisme sont donc à bannir… On le retrouve plutôt intégré dans la thématique générale de la paix, puisque de toute manière les deux thèmes sont intimement liés. S’il y a la paix, c’est que le civisme est respecté, celle-ci étant plus ou moins la résultante de ce dernier.
Toutefois, quelques exemples :
Georges Ouédraogo a composé des chansons assez percutants qui illustrent le problème de civisme : Sapeurs-pompiers, Circulation, ya mam la woto, monsieur le PDG.
Pierre Sandwidi : Jeunesse, mam ti fou, Je demande ma démission (un employé dénonce l’exploitation dont il est victime par son patron qui le paie mal depuis 8 ans…),
Freeman Tapily: stigmatise l’incivisme qui est un frein au développement ; il reconnaît le droit de grever ou de manifester, mais demande d’éviter de casser, de brûler et de détruire les biens publics.
Cas du sport :
Le sport est un facteur de rapprochement des peuples issus de plusieurs horizons. Il peut contribuer fortement à la promotion du civisme. En effet, les sportifs sont devenus des modèles, des références pour la jeunesse. A ce titre, ils peuvent influencer positivement les jeunes par les actions qu’ils posent au quotidien. Aussi, ils peuvent distiller des messages forts sur des valeurs comme le civisme, la citoyenneté, la solidarité lors des grandes rencontres sportives.
A titre d’exemple voici les propos de Didier Drogba. A peine qualifié pour la Coupe du monde 2006, le buteur de Chelsea use de son influence. Dans les vestiaires, entouré de ses coéquipiers, d’une voix douce et hachée, il proclame au micro : « Ivoiriennes, Ivoiriens, on vous a prouvé aujourd’hui que toute la population de la Côte d’Ivoire peut cohabiter, peut jouer ensemble pour un même objectif. Aujourd’hui, on vous le demande à genoux : un pays qui a toutes ces richesses ne peut pas sombrer dans la guerre comme cela. » Il est à genoux, aux côtés de Touré, du Nord, de Boka, du Sud, de Barry, le gardien, dont les parents sont guinéens. Didier Drogba poursuit : « S’il vous plaît, déposez tous les armes. Organisez des élections, et tout ira mieux. »
C’est d’ailleurs pour cette raison, que de nombreux footballeurs et athlètes sont faits Ambassadeurs de l’UNICEF. A titre d’exemple citons :
Sammuel Eto’o Fils Ambassadeur de bonne volonté de l’UNICEF
Nwankwo Kanu, 2005, (footballeur)
Tresor Lualua, joueur de football, juin 2009
LEO Messi
Kalaba( Footballeur Zambie)
Bref, beaucoup de joueurs africains ont conservé leur conscience sociale. Ils entreprennent des actons en faveurs des enfants et des couches vulnérables.
On aurait également citer : Marouane Chamakh (Maroc-Arsenal) et son association 1001 sourires ; Samuel Inkoom (Ghana-Bâle) et son action en faveur des orphelins ; George Weah (Liberia) et son engagement politique ; Abdeslam Ouaddou (Maroc-ASNL) et sa lutte contre le racisme ; Samuel Ipoua (Cameroun) et Wagneau Eloi (Haïti) qui s’engagent pour Haïti ; Jimmy Adjovi-Bocco (Bénin), Patrick Vieira (France) et Bernard Lama (France) et Diambars ; Stephen Appiah (Ghana-Bologne) qui a lancé sa propre marque dont les bénéfices sont reversés aux enfants déshérités ; Sydney Govou (France-Panathinaïkos) parrain d’une association humanitaire au Togo ; Frédéric Kanouté (Mali-FC Séville) qui a fondé une association pour venir en aide aux orphelins de son pays…
Youssef OUEDRAOGO, journaliste, consultant culturel et des médias, coordonnateur des Faso Music Awards et Auteur du livre « Musique Moderne bukinabè des années 90 à nos jours, Analyse critique et perspectives de promotion, sous la direction du Pr Salaka Sanou, Editions Université Européenne 2011.
Références bibliographiques:
Communication du Dr. Oger KABORE (2014)
http://www.easy-djembe.com/…/importance-et-place-de-la-musi…
– https://dumas.ccsd.cnrs.fr/…/Oriane_Marck_-_La_musique_dans…