Le vendredi 2 mars dernier, Ouagadougou la capitale du Burkina Faso a connu une double attaque terroriste qui a fait huit victimes du coté des forces de défenses. Malgré ce contexte particulièrement difficile, les journées de réflexions sur les conditions de vie des femmes les 7 et 8 mars 2018 ont été maintenues et ce, dans le cadre de la célébration de la 161e journée internationale des droits pour les femmes.
En solidarité avec les familles éplorées, la ministre Laurence Ilboudo/Marchal a invité d’une part « les populations burkinabè à célébrer cette journée dans la sobriété et le recueillement » et d’autre par « les femmes à porter un signe distinctif (foulard, écharpe ou bandeau de couleur noire) lors des activités commémoratives ». Décision sage, mais intéressons nous aux signes distincts du deuil, le noir !
« La commémoration du 08 mars se tient dans un contexte particulièrement difficile suite aux attaques terroristes perpétrées contre notre pays. De ce fait, la ministre de la femme, de la solidarité nationale et de la famille invite les populations burkinabè à célébrer cette journée dans la sobriété et le recueillement. La ministre appelle vivement les femmes à la retenue et à surseoir aux regroupements festifs et autres manifestations de réjouissance populaire, et ce, sur toute l’étendue du territoire national. […] Toutefois, en solidarité avec les familles éplorées, la ministre invite les femmes à porter un signe distinctif (foulard, écharpe ou bandeau de couleur noire) lors des activités commémoratives ». Ces propos rapportés au style indirect sont de madame la Ministre de la Femme, de la Solidarité Nationale et de la Famille ; Madame Hélène Marie Laurence Ilboudo née Marchal. Ici, Madame Laure Ilboudo/Marchal est à la fois personne physique et personne morale. Il sera difficile de distinguer à l’instant les deux personnages car tout ce qu’elle dit publiquement peut être interprété comme la voix du gouvernement ou comme les propos d’une fille, d’une épouse et d’une mère.
A l’analyse il s’agit d’une très bonne décision car le bon sens et la solidarité africaine exigent le recueillement devant la mort. Si une telle mesure émane du gouvernement ou du département ministériel de la femme, elle est à applaudir fortement. Le problème ici, c’est le signe extérieur du deuil. Sur cette base, le gouvernement du Burkina Faso ne peut pas prendre une telle décision. Dans le gouvernement Paul Kaba Tiéba III, il y a un ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme qui au nom de la solidarité gouvernementale, pourrait conseiller la couleur indiquée du deuil à son homologue du département de la femme. De plus, au niveau du Ministère de la Femme, de la Solidarité Nationale et de la Famille ; madame la ministre est entourée de têtes bien faites qui pourront l’aider à ne pas se tromper sur ce qui pourrait être considéré comme la couleur du deuil au Burkina Faso.
Sous influence de la culture occidentale d’abord du fait de la colonisation puis des médias et des technologies de l’information et de la communication (cinéma, télévision, internet, etc.), les africains notamment ceux au sud Sahara pensent souvent que l’uns des signes extérieurs du deuil c’est le vêtement de couleur noire. Il est assez courant de voir des personnes se pointer en noir dans une famille éplorée pour des salutations en guise de solidarité dans le malheur, oubliant qu’un faux pas vestimentaire pourrait offenser la famille endeuillée et les proches du défunt. Reconnaissons tout de même que certaines familles peuvent exiger en fonction de leur croyance ou de leur appartenance religieuse, que les personnes présentes portent des couleurs spécifiques. De même, porter la couleur préférée du défunt peut être une manière de lui rendre hommage. Dans tous les cas, il convient de privilégier une tenue décente, propre ; respectueuse du culte religieux ; de la tradition, des convenances et respecter les personnes présentes. Il est donc clair que les couleurs du deuil diffèrent selon le pays et les cultures, les civilisations, les religions et les croyances. La couleur noire comme couleur du deuil n’est donc pas une convention universelle.
Le mot « deuil », au sens étymologique dérive du latin « dolus » ou « Dolium » plus tard sous la forme « doléré » est à la fois une souffrance de l’âme et une souffrance du corps. A toutes les époques et chez tous les peuples, ces souffrances ont été rendues apparentes et en quelque sorte publiques par des signes extérieurs, sans doute nés de la coutume. Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, il est mentionné que le vêtement de deuil est «une espèce d’habit pour marquer la tristesse». Le vêtement n’est pas le seul élément à utiliser pour faire le deuil. Il y a aussi une conduite à respecter: crâne rasé, discrétion, simplicité, retrait de la vie sociale, etc.
Si les rituels funéraires varient d’un pays à l’autre, en Afrique subsaharienne il y a tout de même un dominateur commun : Mourir n’est pas disparaître mais changer de statut comme de dimension, devenir esprit, ancêtre, autant de certitudes que les religions dites révélées n’ont pas pu déraciner. Heureux soient donc les Africains qui, lors de la perte de l’un des leurs, arborent des tenues blanches couleur symbolisant la transformation du mort dans un nouvel état : le signe d’une vie renaissante, la pureté. Dans la symbolique africaine, la couleur du deuil est le Blanc, car cette couleur évoque la pâleur liée à la mort, la lumière céleste, voire la vérité universelle à laquelle l’âme d’un défunt a accès. Trois exemples funestes dans l’actualité récente du Burkina Faso illustrent les propos ci-dessus. A la disparition de l’Honorable député et président de l’Assemblée nationale Salif Diallo ; l’ensemble des parlementaires, la famille et les proches du défunt, les hôtes venus des pays amis (le président de la république du Niger Mahamadou Issoufou et son épouse) se sont tous présentés aux obsèques dans des tenues blanches. Les mêmes signes extérieurs du deuil ont été observés lors du décès du cinéaste burkinabè Idrissa Ouédraogo. Le 7 mars 2018, des internautes invitaient la population à se vêtir en blanc pour accompagner à leurs dernières demeures, les huit soldats burkinabè tués lâchement par les terroristes.
Bien avant l’arrivée des religions importées nomment le christianisme, les Africains savent qu’il existe une vie après la mort. Les funérailles sont des occasions favorables pour prôner les qualités de leurs relations et les vertus de ces défunts dont on dit qu’ils ne sont pas morts. Voilà pourquoi les morts sont valorisés dans toutes les sociétés africaines. Il existe dans le subconscient des africains un lien étroit entre vie et mort. C’est une évidence reprise par Lazare Tiga Sankara dans son recueil de nouvelles intitulé le retour des morts parut en 2011 aux éditions Céprodif. Pour lui, « les morts répondent à l’appel de l’initié et retournent parfois au village pour la sécurité des Hommes qui ont le cœur blanc ». Dans la même œuvre il écrit : « Cette fois-ci, ce n’était plus quelqu’un qui me l’avait raconté mais de mes propres yeux, j’ai vu ce cadavre marchant tout seul sur ses deux pieds ! » P. 21.
Dans les sociétés africaines, la mort est considérée comme une renaissance vers un nouveau monde, ou une autre vie. C’est l’avis de Birago Diop qui le dit dans son poème Souffles : « Écoute plus souvent Les Choses que les Êtres La Voix du Feu s’entend, Entends la Voix de l’Eau. Écoute dans le Vent Le Buisson en sanglots : C’est le Souffle des ancêtres. Ceux qui sont morts ne sont jamais partis : Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire Et dans l’ombre qui s’épaissit. Les Morts ne sont pas sous la Terre : Ils sont dans l’Arbre qui frémit, Ils sont dans le Bois qui gémit, Ils sont dans l’Eau qui coule, Ils sont dans l’Eau qui dort, Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule : Les Morts ne sont pas morts… », Leurres et lueurs (1960) – (éditions Présence Africaine).
Si pour l’Africain, il existe une vie après la mort, c’est-à-dire dans l’au-delà, en occident par contre ce n’est plus totalement le cas. La mort représenterait le sommeil éternel, là où il n’y a plus de lumière ; là où le défunt revient à l’état de cendres. Ce qui est paradoxal aux fondements du christianisme qui prêche « la résurrection des morts au dernier jour ».
Aujourd’hui en occident, la douleur de la perte d’un proche se traduit en général par le port d’une tenue noire et les couleurs sombres en référence aux saintes écritures tirées de l’apocalypse « Le soleil devint noir comme une étoffe de deuil », (Ap 6, 12). Toujours dans la symbolique occidentale, le noir rappellerait l’obscurité dans laquelle est plongé le défunt. Et pourtant, les choses n’ont pas été toujours ainsi. Dans la Bible il est écrit dans les actes des apôtres que : « Puis on lave le cadavre », (Actes 9.37) ; et dans l’évangile de Saint Marc il est dit qu’on « l’enveloppe dans un linceul blanc », (Marc 15.46). Ce n’est donc pas par hasard qu’autrefois en France, la reine portait le deuil de son mari en blanc, et le roi celui de sa femme en violet. Ces couleurs sont restées longtemps dans la tradition. A l’occasion de l’exposition au Met de New York, «La mort vous va si bien : un siècle de vêtements de deuil», Denis Bruna, professeur d’histoire de la mode à l’Ecole du Louvre et conservateur au musée des Arts décoratifs de Paris, revenait, à cette occasion, sur l’histoire du costume et des rituels funéraires. Dans l’interview accordée à Emmanuèle Peyret et publiée le 7 novembre 2014 à www.histoiredemode.org, l’historien français faisait remarquer aux lecteurs que : « l’apparition des vêtements de deuil remonte à l’Antiquité: les Egyptiens, les Grecs et les Romains associaient à leurs rituels funéraires des tenues spécifiques par la forme et la couleur, mais aussi, quelques pratiques de modifications corporelles, comme le fait de se raser. A Rome, lors des funérailles, hommes et femmes devaient se vêtir de gris ».
Même si le noir et ses variantes ont une connotation funéraire depuis au moins l’Antiquité, il faut cependant attendre la fin du moyen âge, voire le début de l’époque moderne pour que le noir s’impose comme la couleur quasi exclusive du deuil en occident. « Les vêtements de deuil doivent exprimer non seulement les statuts sociaux du porteur de l’habit et du défunt, mais aussi une nouvelle situation familiale et un sentiment de perte », poursuivait Denis Bruna.
Le vêtement spécifique pour le deuil semble être apparu en Espagne au XIe siècle. L’usage a été progressivement adopté en Europe occidentale notamment dans les cours royales. Il semblerait qu’en 1316, Philippe V de France s’était couvert de noir à la mort de Louis X le Hutin. En 1328, Mahaut d’Artois porte cette même couleur à la mort de Charles IV, son gendre. Vers le XVe siècle, l’on remarquait aussi que l’habit des veuves était noir et couvrait tout le corps.
A priori, la première Française à porter le noir est Anne de Bretagne, après la mort de Charles VIII (1498). Puis Catherine de Médicis va emboiter le pas. Vêtue de noir, elle va pleurer la mort de son époux Henri II (1559).
Entre le XVIe et le XVII e siècle, les reines de France exprimait le deuil par la couleur blanche. Un retour à la croyance judéo-chrétienne. Louise de Lorraine pourrait être ainsi qualifiée de « reine blanche ». En effet, elle porte le deuil de son époux Henri III décédé en 1589 dans une tenue blanche. Puis les reines Marie Stuart et Elisabeth d’Autriche imiteront son attitude. Mais à cette époque, le deuil en blanc est concurrencé par une autre mode, venue d’Italie, où les veuves préfèrent le noir des ténèbres.
A partir du XVIII, le noir s’impose comme la quasi-couleur du deuil dans les sociétés occidentales.
Au fil des siècles, le vêtement de deuil n’a eu de cesse de se modifier et de se renouveler en fonction de l’inconstance des modes. Au XIXe siècle, il y a de nombreuses variantes de couleurs comme le gris, le violet foncé, le bleu noir, le mauve, l’écarlate.
Le blanc nous l’avons dit plus haut évoque la pureté, le renoncement, mais plus encore l’espoir et la renaissance. Le Blanc renvoie à la lumière. La lumière c’est la vérité. La lumière c’est la vie. Cette croyance africaine a été récemment reprise de façon spectaculaire en Europe par de hautes personnalités affligées par la disparition d’un proche. En août 1993, la reine Fabiola de Belgique portait une robe blanche, couleur de la résurrection, aux obsèques du roi Baudoin. De même, en 2004, aux obsèques de la reine Juliana des Pays-Bas, ses quatre filles, dont la reine Beatrix, étaient entièrement habillées de blanc. Cette attitude pourrait être interprétée comme un retour aux sources, une adéquation avec les préceptes du christianisme. Au commencement, le blanc était la couleur du deuil car c’est la couleur céleste. Dans la Bible, le vêtement blanc est symbole de pureté et de victoire. « A Sardes, tu as quelques personnes qui n’ont pas souillé leurs vêtements. Elles m’accompagneront, vêtues de blanc, car elles en sont dignes. Ainsi, le vainqueur portera-t-il des vêtements blancs », Ap. 3,4-5. A la limite, les vêtements blancs désignent les vêtements célestes portés par ceux qui sont élus. Cela rime bien avec la croyance des africains. D’où le port du vêtement blanc comme l’un des signes extérieurs du deuil en Afrique noire.
Abraham Bayili.