JOURNALEUX OU JOURNALISTES CULTURELS AU BURKINA FASO ?

Mon professeur sur le module « patrimoine culturel et journalisme », Francis Barbey nous interpellait sur la nécessité pour les médias africains de valoriser le patrimoine culturel de l’Afrique. Donc des journalistes, acteurs de progrès. Le stylo entre les doigts, le regard fixé sur cet enseignant, je me replongeais dans mon biotope culturel. Les pratiques peu commodes de certains journalistes culturels dans nos pays sont passés au peigne fin au cours de cette séance. Ce jour là, je pris la parole et du haut de mon expérience de plus d’une dizaine année dans la presse culturelle, je fis mon réquisitoire.

  1. PRESSE CULTURELLE EST-ELLE UNE PRESSE MINEURE ?

Dans mon pays au Burkina Faso, On peut devenir un journaliste culturel sans une formation au préalable. Frais émoulus des universités ou instituts, ils sont nombreux les étudiants, dans l’attente d’un job plus reluisant, à intégrer les médias en qualité de stagiaire. Aussitôt devenu journaliste stagiaire, il affinera ses armes dans les conférences de presse, les événements culturels et autres activités organisées par les promoteurs ou entrepreneurs culturels. Ce jeune journaliste n’a aucune formation basique et son travail laisse parfois à désirer. Un jour, un journaliste d’un média est allé couvrir une conférence de presse marquant la sortie d’un album d’une icône de la chanson burkinabè. Se contentant de reproduire le document de presse où il était écrit  » le dernier album en date de l’artiste  » ce journaliste dans son reportage mentionnait que l’artiste ne devrait plus chanter, car c’est le dernier album de la carrière artistique dudit artiste. Un compte rendu qui a d’ailleurs provoqué le courroux des organisateurs. Un exemple parmi tant d’autres. Dans les rédactions, où j’ai travaillé, on programme d’abord les autres reportages et c’est selon la disponibilité des caméras ou appareils que sont programmés les événements culturels. Aussi, de nombreux journalistes culturels se sont vus obligés de changer de fusil d’épaule au grand dam de la culture. Les aînés, Morin Yamongbe, Zoumana Wonogo, Boureima Djiga, Fousseni Kindo, Felix Ametepé etc. ont marqué l’histoire de la presse culturelle. Si certains y sont restés par amour et continuent d’être des apôtres culturels à leur façon, d’autres ont désenchanté et vaquent à autre chose. La raison ? Un aîné me confiait ceci un jour après que je sois allé lui rendre visite. Après avoir fait le tour de sa nouvelle maison qu’il venait de faire pousser de terre, alors que j’admirais cette bâtisse avec des yeux de convoitises, il me dit : « Si tu reste un journaliste culturel pendant toute ta vie, tu ne pourras pas construire une telle maison !» Il renchérit : « La presse culturelle donne peu d’opportunités et ne vous positionne pas dans l’élite des hommes de médias. C’est du journalisme mineur pour certains. »

  1. LES JOURNALISTES CULTURELS SONT DES VASSAUX LIGES DES PROMOTEURS CULTURELS, DES ARTISTES ET DES HOMMES POLITIQUES

Dans mon pays au Burkina Faso, nombre de journalistes culturels tirent le diable par la queue. Difficile de ne pas céder aux petits billets de banque des artistes ou promoteurs culturels. La déontologie et l’éthique qui caractérisent ce métier sont foulées au pied. Des journalistes vont arpenter les couloirs des bureaux de certains promoteurs et leur promettre leur attachement et soutien. La contrepartie : espèces sonnantes et trébuchantes et certaines faveurs lors de leurs événements. Ils sont donc prêts à médire, mentir et torpiller leurs confrères pour bénéficier de la sympathie de leur « gourou ». J’ai été victime de ces comportements irresponsables de certains journalistes qui m’ont vilipendé auprès de certains promoteurs et artistes au point de devenir « la bête noire des artistes ». Alors que j’avais un idéal, choqué pour espérer un changement de comportement.

Une autre forme de vassalité, c’est de se muer en attaché de presse ou communicateur d’un artiste. On défendra bec et ongles cet artiste bien que son œuvre soit critiquable du pont de vue qualité. On tentera de corrompre intellectuellement ses confrères pour espérer obtenir leur soutien. Quant aux récalcitrants, ils sont vilipendés. Leurs peines, ils ne sont plus conviés aux conférences de presse ou festivals dont le soit- disant communicateur en est l’organisateur ou l’intermédiaire avec la presse.

Peu à peu les médias sont devenus des instruments de propagande et de conditionnement au service des groupes financiers, des hommes politiques. De sources bien introduites font état d’une caporalisation de la presse culturelle au profit de certains acteurs culturels. Contre une rémunération, ils devront écrire des articles qu’ils reçoivent en « in box » et se doivent de se déguiser malencontreusement en des larrons ou laudateurs de certains hommes politiques qui aspirent à se maintenir à leur poste. A l’heure d’Internet, étrange royaume dans lequel liberté d’expression se conjugue avec immédiateté de l’information, c’est presque une overdose de communication à laquelle on assiste. Publier en tout temps et en tout lieux le moindre fait parfois sans intérêt est synonyme d’une prouesse. Bref, les journalistes culturels défendent des chapelles en fonction de leur intérêt. Ils passent pour être, dans bien de situations, des vassaux liges de certains promoteurs culturels ou artistes chanteurs et des responsables d’institutions culturelles.

  1. UNE PRESSE PLUTÔT PESSIMISTE QU’OPTIMISTE

Dans mon pays au Burkina Faso, les journalistes culturels sont des spécialistes de tout. Ils ont la science infuse et avec une intelligence inouïe pour décrypter l’actualité culturelle. Ils omettent qu’ils sont des serviteurs que des roitelets de la plume (pour paraphraser un ancien journaliste culturel). Ils vont à des conférences de presse pour étaler leur savoir et moins leur savoir-faire. Les conférences de presse sont désormais devenus des espaces d’exhibition et de vantardise pour certains journalistes qui ne tardent pas à monter sur leur chevaux. Combien d’artistes ont été frustrés, désemparés par ces journalistes ? Comme s’il faudrait coûte que coûte faire briller sa présence par la prise de parole, tous veulent se faire entendre quitte à poser des questions saugrenues et osseuses qui mettraient à nue ostentatoirement leurs carences intellectuelles. Ils ont fait pleurer certains artistes ; ils ont décontenancé d’autres. Un manager me disait à l’issue d’une conférence de presse où il été malmené par des journalistes, qu’il n’est plus nécessaire d’organiser une conférence de presse, car dit-il, les journalistes, ils viennent prendre tes « 5000 FCFA », te parlent mal et n’écrivent pas de surcroît. Par ailleurs, tout projet est apprécié sous un prisme pessimiste lors des conférences de presse, d’où le cri de cœur de certains entrepreneurs culturels : « La presse culturelle burkinabè est pessimiste au lieu d’être encourageante à l’instar des autres pays de la sous-région ».

Doit-on jeter l’anathème sur eux tous ? Assurément non. Certains se distinguent par la qualité de leur travail, fruit d’une expérience de longues années dans le milieu culturel. Mais la majorité l’emportant toujours sur la minorité, les bonnes graines sont parfois ensevelies par les mauvaises.

  1. JOURNALISTE OU CITOYENS DU NET ?

Dans mon pays au Burkina Faso, depuis l’avènement des réseaux sociaux, tout le monde est devenu journaliste. Des pages ou blogs culturels naissent comme des champignons après une pluie battante. Mieux, si cette nouvelle plate-forme était mis à contribution pour booster la culture ! Hélas, chaque jour avec son lot de dénigrements, de règlements de compte et méchanceté. Comme si leurs pages individuelles ne suffisaient pas pour leurs salles besognes, ils vont sur des pages crédités et dédiées à la promotion culturelle et artistique pour se régler les comptes au grands bonheur des hypocrites qui s’en délectent . Pitoyable !

Les plus jeunes, les arrivistes (selon mon confrère Hervé Honla), ont tendance à jeter les anciens avec l’eau du bain. Avec arrogance et une suffisance débordante, ils se tapent des pages ou blogs et prétendent éperdument donner des leçons de déontologie et d’éthique à leurs devanciers. Ils veulent être des héros au lieu des hérauts culturels. En quête des « j’aime » hypocrites des internautes, ils sont prêts à courir aux scoops même au prix du déshonneur. Aux plus jeunes fougueux, je leur donne ce conseil le plus souvent: faites des analyses pointues et vous vous ferez un nom dans la presse culturelle. La recette facile, c’est d’attaquer les devanciers ou indéboulonnables pour espérer se faire la lumière. Voici mon réquisitoire ! Je formule le vœu de voir une presse culturelle dynamique et responsable.

Youssef OUEDRAOGO  Journaliste/ Consultant culturel et des médias