Festival international du film transsaharien de Zagora : «Les hommes d’argiles » de Mourad Boucif, prix de la critique africaine

Selon diverses sources historiques, près d’un million de soldats africains aussi appelés « tirailleurs sénégalais » ont activement participé à la deuxième guerre mondiale. Pareille pour les troupes venues du Maghreb central : Algérie, Maroc, Tunisie. Au nombre de celles-ci, des soldats marocains ont mené des combats acharnés pour libérer l’Europe et particulièrement la France du Joug nazi. C’est justement ces « libérateurs oubliés » qui sont au centre du film « les Hommes d’argiles » qui a décroché le prix de la critique africaine à la 13e édition du festival international du film transsaharien de Zagora, tenue du 22 au 26 décembre 2016. Durant 109 minutes, la caméra du réalisateur marocain Mourad Boucif, suit Soulayman jeune potier marocain, enrôlé de force par l’armée française pour libérer la « mère patrie ».

h03Dans le générique de la fin du film « Les hommes d’argiles », il est écrit «  sans l’apport des colonies dont de l’Afrique avec 945 000 hommes, il n’y a pas de libération ». Cette donnée historique, sciemment occultée dans l’histoire officielle de la deuxième guerre mondiale, est projetée sur grand écran à travers la deuxième fiction de long métrage de Mourad Boucif. A l’instar de Sembène Ousmane à travers « Camp de Thiaroye » ou de Rachid Bouchared avec « les Indigènes » ou encore de Kollo Sanou à travers « Tasuma », « les Hommes d’argiles » rendent un hommage aux soldats africains singulièrement marocains morts les armes à la main pour libérer la France dominée par l’Allemagne dans la guerre de 1939 à 1945.

Au moment où éclate la deuxième guerre mondiale, Sulayman le héros est potier et rencontre Kadija sa dulcinée. Enrôlé de force par l’armée française et malgré les atrocités de la guerre, Sulayman maintient cette communion avec sa terre natale. Avant la guerre, il travaille l’argile. Sur le champ de bataille, Sulayman et ses frères d’armes se badigeonnent le visage d’argiles pour maintenir cette communion avec la mère patrie et implorer le soutien des siens pour battre l’adversaire. La même action est quasiment reprise par Kadija lors d’une chute dans les montagnes de l’Atlas. Son canaris tombe et se brise. Le visage de la jeune dame contre le sol est recouvert d’argile, l’eau ruissèle pour rejoindre un fleuve puis traverse les montagnes et les forêts et termine sa course dans l’océan. Un épisode qui ramène le spectateur dans les premières séquences du film : les promenades amoureuses sur la place et dans les jardins des deux tourtereaux contemplant la beauté de la nature.

IMG_20161225_192836Sortie officiellement en 2015, la fiction permet aux cinéphiles de revisiter de façon authentique, les durs moments vécus par les soldats marocains dans cette guerre. Le film de Mourad met ainsi à jour, un chapitre de l’histoire commune franco-marocaine et donne par sa forme contemporaine surtout poétique et lyrique un nouvel accès à cette histoire. A l’aide de poésie, d’images émouvantes, d’une utilisation impressionnante de la figuration et d’une reconstitution historique maitrisée à travers les costumes, les armes ; les décors, les moyens de locomotion, les coiffures des femmes, les accessoires que dans les propos et le traitement du sujet, les différentes séquences viennent apporter aux cinéphiles, une épaisseur supplémentaire au spectacle.

En choisissant régulièrement les plans serrés, le film bien qu’il amorce un fait historique qui a réellement existé, plonge le spectateur dans une sorte de voyage métaphysique sur l’Etre, la condition humaine, les rapports de l’Homme avec les éléments de la nature. C’est à juste titre que les personnages de Mourad Boucif sont très proches de la faune et la flore. Les différentes séquences sont ainsi construites dans une sorte de triangle équilatérale à travers le triptyque médiatique son, texte (poésie) et images. On y rencontre une poésie romantique perceptible par le chant des oiseaux et le balayage de la caméra sur la verdure du paysage ; les complaintes d’un soldat devenu presque zinzin devant le spectacle macabre de la guerre et enfin un outil de transmission d’émotions, de sentiments et de sensations.

Le réalisateur cadre au plus près la frayeur des soldats marocains et français. La crainte se lit sur les visages. Le spectre de la mort plane sur les têtes comme une épée de Damoclès.ils voit l’ennemi un peu partout. « Les Allemands sont là » s’écrie un soldat. C’est la psychose. Toutefois,  le spectateur ne verra jamais à l’écran l’adversaire tant redouté. Un choix très sage du réalisateur qui préfère revisiter cette sombre page de l’histoire pour rétablir la vérité occultée plutôt que de pointer un doigt accusateur sur les massacres perpétrés par les adversaires des soldats marocains embarqués malgré eux dans le conflit.

Le rythme lent de la musique comme «  des pas bloqués » dans un défilé militaire, le bruitage mis en exergue par le crépitement des mitrailleuses et les vrombissements des avions en symbiose avec les images de guerres témoignent d’un travail exceptionnel de postproduction.

Le film est bâti dans l’intériorité à tous les trésors que chaque personnage possède plutôt que dans la reconstitution d’un fait réel de l’histoire ou dans un grand film de guerre. Il tourne en réalité dos à la guerre et entre dans la profondeur de l’être, de l’âme. La fiction s’arrête au début de la guerre. En procédant ainsi, « les hommes d’argiles » passent d’un film traitant d’un fait réel de l’histoire à une fable sur la condition humaine. Justement auréolés par le prix de la Fédération africaine de la Critique cinématographique (FACC) à la 13e édition du festival international du Film transsaharien de Zagora (royaume du Maroc).

Abraham Bayili, Ouaga-Zagora

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