JCFA 2016,L’œil du cyclone de Sékou Traoré: « Quel que soit la gravité d’une cause, elle est défendable…».

Cette belle citation tirée de la fiction du cinéaste burkinabè, Sékou Traoré, illustre bien l’optimisme qui se dégage du film et que l’auteur a bien choisi de partager avec le public de la quatrième édition des journées cinématographiques de la femme africaine de l’image.

« L’œil du cyclone» a pour toile de fond l’Afrique contemporaine. Cette Afrique déchirée par les guerres fratricides, tribales, en plein chaos. Pour peindre les horreurs des guerres, Sékou Traoré utilise deux figures emblématique, celle du bourreau d’une part et de la défense d’autre part. Le bourreau est un captif de guerre, Black Schwam Vilar  alias Hitler Mussolini. Le défendeur est une figure féminine : Maître Emma Tou.

Quel est la trame de ce film? Dès les premières images, le cinéphile découvre des photos blanc et noir montrant des enfants-soldats, des kalachnikovs en mains, des charniers, des corps en putréfaction, des adolescents brandissant leurs armes, joyeux, satisfaits d’un massacre qu’ils auraient perpétrés. Les images défilent à un rythme assez rapide qui ne laisse pas le temps au spectateur de comprendre exactement ce qui se passe. Le décor est ainsi planté. Ces images muettes sont suivies de scènes plus vivantes et colorées.

Le quotidien d’une bourgeoise devenue avocate, séduisante, féministe et idéaliste. Emma Tou évolue dans un monde où les convenances et apparences sont de mise. Une affaire, l’affaire du siècle lui est proposée. Nous comprenons par la suite qu’elle est la dernière de la liste; tous les avocats ayant refusé de peur de se compromettre. Personne ne tient à cette affaire qui semble perdu d’avance. De plus, elle est dangereuse vu qu’elle est d’ordre politique. Ainsi toute personne censée qui cherche à mener une vie paisible ne s’aventurerait sur cette voie, inéluctablement suicidaire.

La jeune femme accepte de défendre le « prisonnier» du siècle.  Peut-elle changer « la face du monde»? Tant bien que mal, Me. Tou mène l’enquête. Elle Affronte l’homme le plus dangereux du pays; par son courage et sa détermination, elle démantèle le complot orchestré contre ce « coupable-idéal ». « Hitler Mussolini» est accusé, lui et ses camarades d’avoir massacré un village. Ceux-ci ne semblent être que des pions, les instruments que manipulent des hauts-dignitaires du pays. L’histoire se corse. Les surprises sont tout à fait dignes d’une fiction hollywoodienne. Le condamné à mort n’est qu’un exécutant et sa propre histoire est beaucoup plus émouvante. Il force la compassion et Me. Tou se prend aux jeux des sentiments.

A travers le passé, l’on découvre cette Afrique déshumanisée, profondément matérialiste qui choisit de sacrifier ses enfants. Des êtres innocents de huit à seize ans qui sont enrôlés dans des factions rebelles. Des Hitler, ils sont nombreux, ces petits anges transformés en des machines de guerre pour sauvegarder des intérêts égoïstes : « le diamant du sang». On découvre un adulte, ex enfant-soldat à qui les adultes n’ont enseignés que la violence, le sang, le carnage, la barbarie. Doit-on condamner black schwam vilar ?

Emma Tou répond à cette épineuse question par le négatif. Il n’est qu’une victime innocente. Pour elle, il n’est pas, comme tous ces enfants-soldats d’Afrique, responsable des atrocités commises. Aussi, celle-ci, derrière ce regard attendrissant envers le « monstre» couve un secret familial. Une famille qui a fui la guerre, pour se réfugier de l’autre côté. Par ailleurs, l’aînée de la famille Tou, a elle aussi des fantômes au placard et qui la hantent depuis toujours. Des images : un meurtre, un viol, la fuite, la poursuite, des assassins, un enfant soldat terrifiant armé. Des cauchemars.

Grâce à ce prisonnier pas comme les autres, notre avocate renoue avec le passé, essaie de comprendre ce qui s’est passé là-bas, dans le sud du pays, il y’a des années de cela. Du passé surgit d’horribles révélations. Des personnes que l’on aime sont impliquées. L’univers d’Emma Tou s’effondre pendant que le prisonnier découvre ses origines.

La femme fait des miracles et sauve le « Hitler Mussolini» des griffes de la mort par une peine de quinze ans. Mais la femme a goûté au fruit défendu. Peut-elle espérer reprendre le cours de sa vie ou un nouveau départ après ce contact avec « l’homme». Le film s’achève de la façon la plus tragique qu’il soit. Les vieux démons reprennent le dessus. L’enfant-soldat sans foi ni loi, étrangle l’héroïne.

Ce film pose la problématique des enfants-soldats en Afrique. Et l’après-guerre et la réinsertion sociale de ces individus? Ne constituent-ils pas un danger pour les autres? Une autre chance est-elle possible pour les enfants-soldats?  Des Hitler, il en aurait dans quelques années des millions en toute liberté sur le continent. Doit-on craindre pour l’avenir de l’Afrique? Sékou Traoré jette aussi un regard critique sur les dessous des guerres tribales en Afrique et l’enrôlement des enfants dans ces confits.

Emma Tou aurait dû se rappeler les paroles de l’observateur de la croix rouge. Une prise en charge psychologique de ces enfants et ex-enfants soldats est indispensable. Il faut donc désamorcer la bombe qui est en eux sinon ils demeurent des « kamikas» ambulants.

Rasmata Kaboré (ASCIC-B)

 

 

 

 

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