« C’est eux les chiens » du Marocain Hicham Lasri

 « C’est eux les chiens ». A l’évocation de cette expression, on ne peut s’empêcher de penser à une injure sans pitié à l’égard d’ennemis. De quoi choquer les âmes sensibles et généralement bien éduquées. C’est pourtant cette expression que le cinéaste marocain Hicham Lasri a choisi comme titre de son deuxième long métrage produit en 2013. A la faveur de la 24ème  édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), qui se tient présentement au Burkina Faso, il a été donné à voir aux festivaliers ce film au ton provocateur. 

Le film est de la lignée des fictions saisissantes qui tirent leur pertinence de la critique sociale. Une société en perpétuelle évolution, avec ses exigences, ses revendications, ses interpellations, ses mouvements et manifestations. Dans ce film « C’est eux les chiens », c’est la société marocaine qui est passée au peigne fin à travers le regard de journalistes avides d’événements peu ordinaires voire inédits et l’univers d’un ancien prisonnier dont l’errance est source de découvertes et de mémoires, de sensations et de fantasmes, de rêves et de pulsions, d’émotions et d’ébullitions voire de révoltes et de quêtes. Pour autant, le film ne rompt pas le cordon ombilical qui lie l’ordre social nouveau avec son cortège d’antagonismes et de confrontations en gestation et l’ordre social ancien en survie et probablement en sursis.

Avec des images fortes et fascinantes, le film nous entraine dans les coins et les recoins de Casablanca, cette ville aux multiples facettes, tiraillée entre la sauvegarde d’un passé révolu et la recherche d’un présent et d’un avenir plus porteurs d’espoirs et d’espérances, de changements et d’évolution.

Au fur et à mesure que le temps s’écoule, la critique sociale bascule dans une sorte de compassion pour l’ancien prisonnier de la cellule 404 dont la préoccupation essentielle est de retrouver sa femme et ses enfants qu’il a perdus de vue pendant ses 30 ans passés dans les geôles marocaines, pour avoir manifesté en 1981 durant les « émeutes du pain ». Face à l’incertitude de l’ex-prisonnier de trouver ou non sa famille, le spectateur du film ne peut que se soustraire par moment de l’axe prioritaire du film pour s’attarder sur le détail qui est la recherche passionnée du personnage. Et pris de compassion, il arpente avec le personnage les dédales et les ruelles crasseuses d’une ville en mutation et dont le gigantisme semble avoir englouti la famille et l’environnement de l’ex-prisonnier… Puis vint le coup de chance ! En effet, à force de persistance dans la recherche, l’ex-geôlier (du nom de Majhoul) finit par retrouver sa femme et ses enfants. Mais passé le temps des étreintes, la réalité est cruelle. Sa femme a un nouvel époux. Ses enfants le rejettent pour les avoir abandonné trente ans durant. La déception est grande. Un rêve brisé pour ce mari cocufié.

Le réconfort viendra du fait que le film dans son évolution et son cheminement constitue aussi un va-et-vient sur le « printemps arabe » qui a secoué de façon inoubliable certains pays arabes. Le réquisitoire de « C’est eux les chiens » n’est pas du tout tendre, même s’il faut reconnaître que l’usage de l’humour et de la drôlerie participent de l’atténuation des situations dramatiques et émouvantes. Le film nous enseigne que même si le Maroc n’a pas suivi la voie de plusieurs de ses voisins lors du « printemps arabe », il présente le visage d’un pays où les revendications émergent sans cesse, à l’image de la caméra de Hicham Lasri qui bouge sans arrêt dans le film.

Sita TARBAGDO  (ASCRIC B)

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